Elle s'appelait Sarah

Publié le par Chiffonnette

 

 

J'avoue d'entrée de jeu que la publication de ce billet me rend nerveuse. Je dois faire partie des rares personnes n'ayant pas aimé Elle s'appelait Sarah, et il est toujours difficile de parler dans ce contexte. Mais je me suis aussi souvenue qu'en matière de littérature, tout lecteur a le droit d'aimer, et de ne pas aimer ce qu'il vient de lire.

 

 

 

 On ne présente plus Sarah. Quoique, petite piqûre de rappel pour ceux qui auraient échappé à la vague!

 

En mai 2002, une journaliste américaine installée en France est chargée par son magazine d'écrire un article sur la rafle du Vel d'Hiv. Elle découvre l'horreur des rafles, des camps de transit et la grisaille des années d'occupations. De tous les destins brisés dont elle va croiser l'histoire, c'est celui de la petite Sarah qui va changer sa vie. Sarah, qui le 12 juillet 1942 a enfermé son petit frêre dans le placard, croyant le protéger et pouvoir revenir le chercher. Sarah sur qui elle va enquêter jusqu'à ce qu'enfin, les fantômes d'apaisent.

 

 

 

 

C'est un livre qui a fait couler beaucoup d'encre virtuelle. Difficile de passer après tous ces commentaires élogieux et rarement réticents. Pour ma part, cette oeuvre me laisse un goût amer. Je ne peux guère critiquer la construction même de l'histoire, maîtrisée de bout en bout, ou la plume de Tatianan de Rosnay qui est loin d'être désagréable à lire. Mais cela ne m'a pas suffit.

 

Mon premier problème a été le point de départ même de l'histoire, le lien qui unit à travers 60 années Julia la journaliste et la petite Sarah. Les coincidences sont la base d'une bonne partie de la littérature, mais celle-ci m'a semblée un peu trop grosse.

Une autre part de mes réticences vient de l'aspect mélo du tout. Les drames conjuguaux et maternels de Julia ne m'ont absolument pas touchés. Au point que l'histoire se centrant en définitive sur elle, j'ai presque fini par m'ennuyer. La cerise sur le gâteau étant la dernière rencontre dans un café avec le fils de Sarah, le début que l'on peut deviner d'une histoire d'amour construite sur les bases de ce qu'elle lui a appris du passé de sa mère avec la lumière qui  baisse progressivement. C'et probablement du à mon allergie à ce genre de scène, mais j'ai eu du mal à supporter. D'autant que le tout ne m'a pas paru très sain. Pour moi, l'histoire de Sarahest parasitée par celle de Julia, jusqu'à en être finalement supplantée. On n'apprend que des bribes de ce qui lui est arrivé, avec la charge de remplir les trous. Il est vrai que l'histoire de Julia, son regard plein d'humour sur les français est leurs défaut est une bouffée d'air dans une histoire au fond difficile, mais je me suis sentie frustrée. Frustrée par l'histoire d'une crise conjuguale qui ne m'intéressait pas plus que ça. Frustrée aussi par les mots trop adultes qui sont dans la bouche de cette enfant de dix ans, confrontée certes à l'horreur, mais n'ayant que dix ans.

Mais ce qui m'a vraiment, vraiment posé problème est le regard porté sur la rafle du Vel d'Hiv. C'est une page sombre de l'histoire de France. Un événement qui m'a toujours soulevé le coeur et qui m'a toujours interrogée. Comment cela a t-il été possible? Je trouve salutaire qu'on écrive dessus. Cependant, j'ai la faiblesse de penser aussi que sur des faits aussi dramatiques, un documentaire est ce que l'on peut faire de mieux. La réalité est tellement au-delà de la fiction que je ne vois pas comment éviter les écueils. Bien sûr que des bonnes choses ont été écrites, bien sûr que la littérature jeunesse notamment a traité de cet épisode avec justesse et sensibilité pour le plus grand bien de tous. Mais je n'ai pas trouvé ce que je cherche dans les romans sur cette période dans Elle s'appelait Sarah.

Le regard porté par Julia et ses collègues anglo-saxons m'a poussé dans mes derniers retranchements. Ce n'est pas parce que les américains ne savent pas ce qu'il s'est passé pendant l'Occupation qu'il en va de même en France. Ce n'est pas parce que certains n'ont pas retenu leurs leçons d'histoire, que personne ne se souvient.

Il me semble que la France est un des pays qui fait son devoir de mémoire avec constance et je pense que c'est une bonne chose que de commémorer et rappeler le souvenir. Ce n'est pas sur le Vel d'Hiv que les français ont réellement des problèmes de souvenir, mais bien plutôt sur la colonisation et la décolonisation.

Par ailleurs, si Julia est totalement obnubilée par ce qu'elle vient de découvrir, les autres ne peuvent pas passer leur vie à se lever le matin en se flageallant pour ce qui s'est passé avant même leur naissance! Je ne veux pas faire un cours de philosophie sur la mémoire et l'oubli, M. Ticoeur l'a fait bien mieux que moi, mais il y a un moyen terme entre l'indifférence affichée par un grand nombre de personnages français du roman et cette attitude totalement destructrice! Quand à la charge contre des plaques commémoratrices qui n'expliquent pas par le menu que les troupes allemandes n'ont pas été les seules à traquer les juifs de France... Je rappelerais simplement que la fonction de ces plaques n'est pas de donner des cours au passant. Alors oui, ces plaques ne citent que la barbarie nazie ce qui n'est pas exact. Mais pour les cours d'histoire, il y a des professeurs qui font leur travail quoiqu'en pensent certains, des manuels, des livres, des documentaires papier et audiovisuels, des expositions et un certain nombre d'autres choses! Difficile d'expliquer la complexité de ce qui s'est passé sur quelques cm² de pierre accrochées à un mur! Et au passage, celle qui est apposée sur le mur de l'école proche de mon lieu de travail cite la collaboration active du gouvernement de Vichy à la traque et à la déportation des juifs de France.

C'est d'ailleurs une autre chose qui m'a fait bouillir, l'absence totale de rappel du contexte, sinon en passant comme ça, presque négligemment. Or, la complexité ne s'accomode pas de la simplification, surtout dans un roman destiné à des adultes.

 

Le Vel d'Hiv est une des hontes de la France. Et j'ai honte rien que de repenser à cette page d'histoire. Ca ne m'empêche pas de ne pas aimer Elle s'appelait Sarah. Alors oui, je me souviens, et comme toute personne dotée d'un peu de sens moral je frémis, et je cherche à comprendre, et je m'interroge. J'ai regardé Nuit et Brouillard, et j'ai lu. Et je me suis informée. Ce roman ne m'a rien appris.

 

 

Comprenons-nous bien. Je ne jette pas la pierre sur Mme de Rosnay. C'est simplement qu'à ma modeste mesure de lectrice lambda, je n'ai pas trouvé mon compte du tout dans son roman. Je ne recherche nullement la polémique. J'ai simplement cherché à exposer, sans agressivité, ce que j'espère avoir réussi, ce que j'ai ressenti à sa lecture. D'ailleurs, pour compense mon avis négatif, je mets en lien les avis de lecteurs et de lectrices, qui, eux, ont aimé, histoire que les avis de chacunes et chacuns puissent se contrabalancer.

 

C'est un coup de coeur pour Laure, pour Majanissa. Clarabel a aimé, Sébastien aussi, tout comme Lily, et beaucoup d'autres que je ne peux pas tous citer. Pour l'intérêt de la chose, le débat sur biblioblog.

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L
J'ai cru que je devenais folle quand tu a mis "Lilly" en lien, c'est Lily qui l'a lu et aimé ;o)Moi j'ai commencé, et franchement, en te lisant, je pense que j'ai bien fait de ne pas le continuer. C'est tout à fait ça, mélo et clichés aussi. Quant à l'écriture, je ne comprends pas ce qu'elle a de spécial... Pas désagréable, mais très ordinaire. Mais bon, comme je n'ai pas été bien loin, je ne l'ai pas critiqué sur mon blog.Et je comprends tes inquiétudes quand tu as posté ton billet, mais je pense que quand on est écrivain, il faut savoir accepter les bonnes ET les mauvaises critiques. Quand on argumente, ça n'est que légitime. Je pense que Mme de Rosnay le sait d'autant plus qu'elle est critique littéraire (d'après ce que j'ai compris) ;o))
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C
Oups! Désolée! Je vais corriger ça dès demain ce soir je suis trop crevée!! Je ne savais pas qu'elle est critique littéraire! Et c'est toujours rassurant de croiser la route de quelqu'un qui n'a pas aimé tel ou tel livre qu'on n'avais pas aimé soi-même!
M
Superbe argumentation sur une lecture qu'il n'est pas évident de critiquer ainsi après toutes les bonnes critiques qu'il a eu ;-). Je pense que nous n'avons pas eu la même façon d'aborder le livre et la même attente. Tu recherches plus un livre de style documentaire alors que ce livre n'est pas là pour çà à mon avis. C'est un roman qu'il faut prendre comme telle qui demande à se souvenir sans prétendre nous donner un cours d'histoire. Enfin c'est comme ça que je l'ai vu. En tout cas, je trouve que tu t'en sors super bien dans ton commentaire et j'ai tout à fait compris pourquoi tu n'avais pas aimé :-D. Il n'est pas toujours évident de comprendre pourquoi une autre personne a détesté un livre que l'on a beaucoup apprécié ;-)<br /> Je reposte, j'espère qu'il n'y aura pas de doublons mais je crois que mon commentaire a eu un petit problèle
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S
Tu sais Chiffonnette, il y a plein de romans que la majorité a adorés (je pense au Parfum, La jeune fille à la perle notamment) et que moi, je n'ai pas appréciés. Je ne me prive pas pour le dire et l'écrire, tout dépend des sensibilités de chacun et du moment où on lit le livre.
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C
@ Sophie: tu as tout à fait raison! Mais c'était la première fois dans depuis que je tiens ce blog! Ca fait bizarre! 
Y
Excellente critique Chiffonnette je trouve... c'est vrai que c'est difficile de faire une mauvaise critique d'un livre qui semble faire l'unanimité d'un autre côté il est quasiment impossible qu'un livre fasse l'unanimité alors... Je suppose que c'est le thème qui rend les chose si difficile et là je te rejoints, il me semble que ceux qui le veulent peuvent  faire leur de mémoire sur ce moment particulièrement horrible de notre histoire. A l'adolescence j'ai tellement lu de documentaires, de témoignages, de romans et tellement vu d'images à commencer par Nuit et brouillard que j'ai du mal à prendre de tels livres aujourd'hui même si j'en sélectionne pour mes enfants car c'est leur tour... Et comme tu le fais remarquer la colonisation et la décolonisation sont des thème encore bien partiellement présent dans la mémoire collective...
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C
@ Yue Yin: empathie totale là! Impressionnant!
L
Comme tu le sais, je partage fortement ton avis sur ce roman. Et je te félicite, car tu as su bien mieux que moi expliquer ce qui m'avait fortement horripilé dans cette histoire. :)
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C
@ Laurence: merci! J'ai essayé d'aller au fond des choses!